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Je me lance...
Il est minuit.
La lueur bleutée de l’écran éclaire mon visage, révélant un mélange d’excitation et d’inquiétude. Les mots en coréen glissent sur la page comme des perles d’une guirlande mystique.
Les bulles de dialogue des personnages sont pleines d’émotions, de passion, d’intrigue. Et voilà ma mission : les traduire. Pas seulement les mots, mais l’essence, la saveur, la nuance.
Première étape. Respirer. S’imprégner du ton du Webtoon, de son atmosphère, de ses nuances.
Les coréens ont un mot pour cela : “눈치” (Nunchi) – une forme de sensibilité culturelle. Ça sonne simple, mais c’est tout sauf ça. La complexité culturelle ne peut pas être codée dans un dictionnaire.
Alors, je plonge. Plonge dans le texte, nageant à travers des mots saturés de culture et d’émotion. Les héros rient, pleurent, combattent.
Comment retranscrire ce rire en français ?
Est-ce un éclat joyeux ou un ricanement ironique ?
Ah, les choix ! Chaque mot en français a son propre nuage de connotations, son propre univers d’associations. Il faut choisir, et choisir bien.
Je sélectionne le mot “rire”. Simple, direct. Puis, une hésitation. Un autre mot en coréen attire mon attention. Un mot qui ne se traduit pas facilement en français.
Un mot qui porte en lui tout un monde d’émotions complexes, d’attentes sociales, de nuances subtiles. “정” (Jeong) – un mot si spécifique à la culture coréenne qu’il en est presque indescriptible.
Comment puis-je traduire cela ?
Je prends une pause. Je réfléchis. Là est l’art de la transcréation. Pas une traduction littérale, mais une réinvention du texte.
C’est le moment où le traducteur devient un artiste, un sculpteur de mots. Je décide d’ajouter une phrase, une note en bas de page, une allusion subtile qui pourrait transmettre le non-dit, l’implicite, le sens caché.
Les heures passent. Les phrases s’accumulent, les dialogues prennent forme, les émotions deviennent palpables en français.
Enfin, je m’arrête. Je relis tout, chaque mot, chaque virgule. Respire profondément. Clique sur “Envoyer”.
C’est fait. Le Webtoon est localisé.
Les personnages parlent maintenant en français, mais ils n’ont pas perdu leur âme. Ils vivent, respirent, existent dans deux mondes à la fois. Et moi ? Je suis épuisé, mais exalté.
Une autre nuit blanche, une autre montagne conquise.
Le métier de traducteur est un acte d’équilibrisme. Un acte d’amour. Une exploration continuelle des nuances de la langue et de la culture.
C’est une danse délicate entre deux mondes, un acte de foi en la puissance des mots.
Et chaque fois que je localise un Webtoon, chaque fois que je navigue dans ce labyrinthe de subtilités culturelles et linguistiques, je suis rappelée à cette vérité simple mais profonde :
La traduction n’est pas seulement un métier !
Transcréation
Nous voilà maintenant à l’étape du premier jet. C’est un moment chargé d’émotion, celui où les mots coréens laissent leur place à leur équivalent français.
Chaque phrase est soigneusement décomposée, analysée, puis recréée.
Oui, recréée, car il ne s’agit pas seulement de traduction mais de transcréation. On ne peut pas se limiter à traduire littéralement : cela écraserait toute la subtilité et la nuance du texte original.
Imaginez une scène de confrontation entre deux personnages, tension palpable, révélations explosives. Le dialogue en coréen est plein de sous-entendus, de références culturelles, de jeux de mots qui n’existent tout simplement pas en français.
Que fait-on dans ce cas-là ? Simplifie-t-on le dialogue pour faciliter la tâche ? Jamais. On réinvente.
Oui, la transcréation est une forme d’art. Il faut être fidèle au message original tout en créant quelque chose qui résonne authentiquement dans la langue cible.
Ce n’est pas une science exacte, c’est plus un acte d’équilibrage, une danse délicate entre deux cultures.
Parfois, cela implique de faire des choix difficiles. Par exemple, quand un jeu de mots coréen fonctionne parce qu’il joue sur la ressemblance de deux mots qui n’ont absolument pas la même signification en français. Dans ces cas-là, on doit faire preuve de créativité.
Trouver une solution qui garde l’esprit de l’original, même si elle s’éloigne du texte.
Et croyez-moi, rien n’est plus gratifiant que de trouver ce mot ou cette phrase qui fonctionne parfaitement.
Mais attention, la traduction ne s’arrête pas aux mots. Le ton, le rythme, le flow de la narration sont tout aussi cruciaux. Et il faut également prendre en compte le public cible.
Un adolescent français n’a pas nécessairement les mêmes références culturelles qu’un adolescent coréen.
Il faut donc adapter, tout en conservant l’essence de l’histoire. C’est un défi de taille mais incroyablement satisfaisant.
C’est presque fini, mais le travail n’est pas encore terminé. Une fois le texte traduit et adapté, place à la relecture.
On ne sait jamais, une faute d’inattention, un double sens non intentionnel peut toujours se glisser. Une vérification méticuleuse est donc de mise.
Parfois, c’est un collègue qui prend le relais pour apporter un œil neuf, parfois c’est vous-même après une pause bien méritée.
Ce sont ces détails, ces petites victoires et défis surmontés, qui font de la traduction une expérience si unique et enrichissante. Quand enfin le projet est prêt à être publié, c’est une sensation incroyable.
C’est un peu comme donner vie à quelque chose.
Le Webtoon est maintenant prêt à conquérir un tout nouveau public, à toucher des milliers de personnes, et peut-être même à changer quelques vies.
Voilà, j’espère que ce texte romancé vous donne une meilleure compréhension de la complexité et des subtilités impliquées dans le processus de traduction et localisation de webtoons du coréen au français.
Ce n’est pas simplement un acte de conversion linguistique, mais une aventure riche et complexe qui nécessite une compréhension profonde des deux cultures en jeu.
Mais la soirée n’est pas finie car cela laisse place à l’adaptation graphique … le Lettrage.
L'Art du Lettrage
L’histoire ne s’arrête pas là. Les dialogues sont traduits, oui, mais qu’en est-il du lettrage?
Vous voyez, un webtoon n’est pas simplement un flux de texte. C’est une symphonie visuelle et linguistique. Les mots dansent autour des images, se faufilent dans des espaces improbables, se mêlent aux émotions des personnages.
Le lettrage n’est pas une simple formalité, c’est une extension de la narration.
Imaginez une scène d’action palpitante, où chaque coup, chaque mouvement est capturé en détail exquis. Le texte coréen s’enroule autour de l’action, un participant silencieux mais essentiel à l’émotion de la scène.
Comment localiser cela en français, une langue avec sa propre cadence, son propre rythme, sa propre musique? Ce n’est pas juste une question de taille de police ou de placement de texte. Non, c’est beaucoup plus.
Je m’arme de mon logiciel de lettrage.
La première bulle de dialogue est petite, presque une parenthèse visuelle à l’action explosive à l’écran. Le mot français pour le dialogue est, malheureusement, plus long que son équivalent coréen.
Un autre dilemme. Doit-on changer le mot ? Modifier la taille de la police ? Réarranger l’ensemble de la scène?
Finalement, je trouve la solution. Une petite astuce graphique, une modification subtile de la taille de la police, et le mot s’adapte parfaitement dans la bulle, tout en préservant l’intensité dramatique de la scène. Une autre victoire minuscule dans le long périple de la localisation.
C’est là que je réalise.
Chaque webtoon est un puzzle, une mosaïque de mots et d’images qui doivent être soigneusement démontées et ensuite remontées dans une nouvelle langue, une nouvelle culture. Mais ce n’est pas un processus mécanique, loin de là.
C’est une expérience profondément humaine, un acte de déchiffrement, de compréhension, de création.
Je me tiens là, devant mon écran, les yeux légèrement fatigués mais le cœur plein. Un autre webtoon a franchi le grand écart culturel entre le coréen et le français. Il trouvera bientôt un nouveau public, de nouveaux fans, de nouvelles émotions à susciter.
Et moi? Je suis prête pour le prochain défi, le prochain voyage à travers les langues, les cultures, les histoires.
Alors voilà, chers collègues, amis et curieux de la traduction et du lettrage. C’était un aperçu, une plongée profonde, dans le monde fascinant de la localisation de webtoon.
C’est un travail qui exige bien plus que de simples compétences linguistiques. C’est un travail de graphiste, de narrateur, d’explorateur culturel.
Merci de m’avoir suivie dans cette aventure. Et rappelez-vous, chaque mot compte, chaque image aussi, dans cette danse délicate qu’est la localisation.
Ainsi se termine notre voyage dans le monde exigeant mais incroyablement gratifiant.
Partagez vos propres expériences et défis, j’ai hâte de lire vos récits!